Dans les pas de Noureev, par le ballet du capitole et l’orchestre national de Montpellier
Dernière mise à jour : 26 févr. 2019
Aujourd’hui, on va parler de danse, de danse classique même et de la représentation Dans les pas de Noureev par le ballet du Capitole de Toulouse. Si une grande partie des petites filles ont voulu devenir ballerines, seule une petite partie de la population s’y connaît vraiment en danse classique, et une encore plus petite partie connaît le danseur-chorégraphe russe Rudolf Noureev. Donc, avant de vous parler de la représentation que je suis allée voir à l’Opéra Berlioz de Montpellier le 24 janvier, je vais vous présenter la danse classique et Noureev.
La danse classique, qu’est-ce que c’est ? D’après le Larousse, c’est une « composition chorégraphique destinée à être représentée en public, interprétée par un ou plusieurs danseurs ». Un peu flou, non ? Je vais vous donner une autre définition de cet art, la définition d’une fille qui a toujours été passionnée par la danse classique depuis son plus jeune âge, ma définition. La danse classique c’est un art de précision, de souplesse et de grâce. L’agilité et l’élégance des danseurs sont liées à la musique de grands compositeurs classiques, tel que Tchaïkovski ou Prokofiev. Par la précision demandée, la danse classique est un véritable sport, qui allie élasticité, endurance et finesse. Le ballet – une autre dénomination de la danse classique – est une alliance parfaite entre un sport de haut niveau et un véritable art classique.
Avant tout, un peu de vocabulaire. Je risque d’utiliser des termes qu’un lecteur non averti mais non moins séduit ne pourrait comprendre. Ce sont des termes basiques du répertoire classique. Commençons par la variation. C’est une chorégraphie exécutée en solo par un danseur. Cette chorégraphie n’a pas toujours un rapport direct avec l’œuvre. Elle met en valeur les meilleurs danseurs de la compagnie ; les danseurs étoiles ou les premiers solistes (qui sont, dans la hiérarchie du ballet, juste en dessous des danseurs étoiles). Si la variation est, par définition, une chorégraphie en solo, on peut aussi parler de variation lors des pas-de-deux. Ce sont des chorégraphies qui mettent en avant deux danseurs, qui peuvent autant faire partie du corps du ballet ou être des danseurs étoiles. Ces variations sont plus en lien avec l’œuvre. Elles sont des scènes d’amour ou de combat qui permettent de faire avancer l’intrigue. Lorsque ces variations (en solo ou à deux) sont des scènes d’aveu amoureux ou des scènes de mariage, elles peuvent être qualifiées d’adage. Qu’est-ce qu’un adage ? C’est une chorégraphie composée de mouvements amples exécutée sur un tempo lent. L’adage, c’est la recherche d’équilibre. Sans présenter tous les mouvements de l’adage, je dirais que le plus connu est l’arabesque. La danseuse ou le danseur est en appui sur une jambe et lève l’autre, tendue, vers l’arrière. L’un des bras est en avant et prolonge la ligne de la jambe levée, tandis que le deuxième est perpendiculaire à la jambe levée. Les bras permettent à la danseuse ou au danseur de garder son équilibre.

Les chorégraphes choisissent parfois de modifier la posture des bras pour des raisons esthétique, ce qui rend encore plus difficile l’exercice ; l’arabesque du cygne blanc (dans le Lac des cygnes) se fait avec les deux bras tendus en arrière, ce qui perturbe l’équilibre naturel du corps du cygne, puisque tout son poids est dirigé à l’arrière de son corps. Bref, je pourrais continuer cette digression pendant encore de longues pages, mais revenons au sujet principal : la représentation Dans les pas de Noureev par le Ballet du Capitole.
Qui est ce Noureev ? Rudolph Noureev est un danseur, chorégraphe et directeur de ballet russe du XXème siècle. En clair, il est passé par toutes les positions possibles dans une troupe de danse. Il est considéré comme l’un des plus grands danseurs classiques – voir le plus grand – et comme l’un des plus grands chorégraphes. Il est parfois surnommé le seigneur de la danse. Ce surnom, de mon point de vue, est mérité. Il a revisité tous les grands ballets classiques, du Lac des Cygnes à Don Quichotte. Parmi ses créations chorégraphiques qui ont marqué le monde du ballet, le pas-de-deux de l’acte III du Lac des Cygnes devient un pas-de-trois. Une variation est attribuée à Rothbart, le sorcier qui a transformé Odette en cygne blanc. Autre point intéressant, dans ses chorégraphies, Noureev donne une place importante aux hommes, qui, jusqu’alors, étaient des faire-valoir des ballerines. Les hommes mettaient en valeur les femmes en les portant, les lançant dans les airs de manière toujours plus périlleuse. En bref, Rudolf Noureev est l’un des chorégraphes qui a le plus marqué la danse classique au cours du siècle dernier.
Après ce que je vous ai dit, cela ne vous étonnera pas de savoir que de nombreux ballets mettent encore en scène les chorégraphies de Noureev. Que ce soit pour des ballets entiers ou des extraits de ses chorégraphie, Noureev est toujours prisé aux quatre coins du monde. La France ne fait pas exception. L'année 2018 marque le vingt-cinquième anniversaire de la mort de Noureev. Cette année est l’occasion de commémorer cet artiste hors du commun. Le directeur de la danse du Ballet du Capitole de Toulouse, Kader Belardi, danseur étoile des années Noureev à l’Opéra de Paris, a tenu à rendre hommage au chorégraphe. Dans les pas de Noureev est conçu sous la forme de deux actes entiers et de trois pas-de-deux extraits de ballets classiques. Les danseurs du Ballet du Capitole se confrontent à un exercice de style aussi sophistiqué que délicat.
Le ballet est découpé en trois parties. Tout d’abord, la troupe reprend le grand pas classique de l’acte III du ballet Raymonda. Ce ballet en trois actes se déroule dans un Moyen-Âge de convention où les dames écoutent les chants de troubadours en attendant le retour de leurs preux chevaliers, partis combattre les Infidèles en Terre Sainte. Dans un château de Provence, les noces de Raymonda avec Jean de Brienne sont en préparation lorsqu’une armée de Sarrasins envahit le château. Jean de Brienne, de retour de croisade, sauve sa fiancée d’Abderam, le chef des Sarrasins. Les Sarrasins s’en vont, emportant le corps de leur chef. Le mariage peut enfin être célébré. Raymonda est l’un des derniers grands ballets de Marius Petipa (un chorégraphe du XIXème siècle dont les œuvres constituent la base du répertoire classique actuel), et le premier grand ballet que Noureev remonté en Europe en 1964. L’acte III, pendant lequel est célébré le mariage, est un acte dynamique (aussi appelé coda) durant lequel les danseurs se succèdent en solistes, duo ou encore trio.
Après un court entracte, le ballet reprend sous une autre forme : quatre pas-de-deux, tirés des grands ballets classiques, se succèdent. La scène du balcon de Roméo et Juliette et le pas-de-deux du Mariage de La Belle au bois dormant s’enchainent. L’un présente la déclaration d’amour des deux protagonistes lors d’un pas-de-deux d’un grand lyrisme, et l’autre célèbre l’union de la Princesse Aurore et du Prince Désiré. Les deux chorégraphies mêlent légèreté et difficultés techniques. Ces chorégraphies, régulièrement représentées et donc connus des amateurs de danse classique, sont néanmoins coupé par endroit : le pas-de-deux de LaBelle au bois dormant est amputé des classiques fouettés de la danseuse principale. Les fouettés sont un réel instant de bravoure pour l’artiste. Ils sont d’ailleurs perçus comme un des mythes de la danse classique. La danseuse, en perpétuel appui sur une jambe, enchaîne les pirouettes (jusqu’à 64 pour les plus expérimentées) grâce à un simple mouvement de la jambe libre.
Ensuite s’enchaîne un ballet moins connu, Cendrillon. Noureev s’est amusé à transposer l’histoire de Cendrillon dans l’univers hollywoodien des années 30. La modeste Cendrillon, repérée par un producteur de cinéma, échappe aux mains d’un père alcoolique et d’une marâtre odieuse, accrochant, au passage, le cœur de l’Acteur-vedette. Cendrillon est à la fois plus merveilleuse et plus humaine. Le Ballet du Capitole présente le pas-de-deux de l’acte II, dit « du tabouret ». Ce pas-de-deux dépeint la rencontre entre Cendrillon et l’Acteur-vedette. La chorégraphie est d’une réelle légèreté et, selon la personne qui m’accompagnait ce soir-là et qui ne connaît rien à la danse classique, « les danseurs ne font que se tourner autour ». La chorégraphie est virevoltante, en somme.
Finalement, le Ballet du Capitole interprète le pas-de-deux, devenu pas-de-trois, de l’acte III du Lac des Cygnes. Le pas-de-trois du Cygne noir réunit le Prince Siegfried, à la recherche de celle qui doit devenir son épouse, avec le magicien Rothbart et sa fille, Odile, transformée en sosie d’Odette par son père. Ici, les différentes variations s’enchaînent en combinant des pas emplit de légèreté, preuve de la fascination du Prince pour le cygne noir, et des pas demandant une grande force physique, révélant le réel dessein du magicien Rothbart.
Un dernier levé de rideau marque le début de l’acte III de La Bayadère. Sur une musique de Léon Minkus, le ballet met en scène l’histoire d’amour de Nikiya, une bayadère, une danseuse sacrée dans un temple hindou, et du valeur guerrier Solor, qui se sont jurés une fidélité éternelle. La jeune bayadère meure, empoisonnée, lors du mariage de Solor et d’une jeune fille. Durant l’acte III, Solor, désespéré par la mort de Nikiya, se réfugie dans les songes que lui procure l’opium. Il est transporté dans au Royaume des Ombres où lui apparaissent les fantômes des bayadères mortes. Nikiya lui pardonne au-delà de la mort. Le rêve l’emporte alors sur la réalité et réunit les deux amants que la vie a séparés. La troupe du Capitole offre la représentation complète de l’acte III. Le passage le plus connu de La Bayadère est, sans conteste, celui de l’Entrée dans le Royaume des Ombres. L’entrée du corps du ballet exige une synchronisation absolue entre chaque ballerine. Les ballerines avancent par un simple adage, une par une, le long d’une planche inclinée à trente degrés, jusqu’à ce que la dernière ombre soit descendue. Cette scène est d’une réelle complexité technique pour les danseuses et demande au corps de ballet une synchronisation absolue. Parce que cette entrée est magistrale, en voici l’interprétation par le théâtre Mariinsky :
Kader Bellardi, directeur de la danse au ballet du Capitole, réussi son pari de rendre hommage à Noureev. Les danseurs exécutent les variations dans les moindres détails, souriants et précis, même si, parfois, des petits déséquilibres se font sentir. Mais je les ai peut-être remarqués car j’ai quinze ans de danse classique derrière moi. Dans tous les cas, les « erreurs » restent minimes et ne gâchent en rien la beauté de la représentation. (Et il ne faut pas oublie que les chutes et les déséquilibres font partie intégrante du ballet, que les chutes arrivent autant en répétition qu’en représentation et que, comme dirait Thierry Le Floc’h, ex-danseur étoile – mon ancien professeur de danse – « C’est le métier qui rentre »).
Je ne trouverais qu’un seul « problème » à reprocher à ce ballet. S’il met en valeur les plus grands pas classiques, le ballet n’est pas adapté pour des personnes découvrant la danse classique. Il est préférable d’avoir une connaissance minimum des grands ballets pour en apprécier les plus belles variations. Donc, si vous voulez vous extasier devant la souplesse et la grâce de danseuses classiques mais que vous débutez dans ce domaine, choisissez des représentations complètes plutôt que des hommages. L’univers de la danse est un univers merveilleux, mais qui demande des yeux avertis et une certaine sensibilité, sensibilité qui se développe avec le temps, et qui ouvre les portes d’un monde féérique.