Dernière mise à jour : 3 avr. 2020
Il était une fois en Amérique
De Sergio Leone
Il y a des films qui donnent le sentiment qu’on ne pourra jamais faire aussi bien. Qu’on vient de voir le film absolu. C’est à la fois décourageant et monstrueusement excitant.
Car on se demande pourquoi et comment, quand on a vu un film aussi parfait, tout ce qui a suivi ensuite a pu faire à ce point moins bien, alors qu’on avait clairement la recette devant les yeux, restait plus qu’à adapter le thermostat.
La recette, elle peut parfois résider en deux ingrédients : un thème d’Ennio Morricone, accompagnant le visage de l’éternel Robert De Niro. 1984.
La nostalgie en figure de proue
Quand on est un nostalgique maladif comme moi, on est nostalgique de ce qu’on vit, à la seconde, et on l’est même du futur. Car on sait qu’un jour, ce temps sera derrière nous, et qu’on le regrettera. Forcément ! L’expérience nourrit ça, et nous fait redouter ce sentiment. Si du haut de notre jeunesse, on arrive à croire que le meilleur est derrière nous, vu ce qu’il en découle comme sensation dans le ventre chaque fois qu’il nous vient à y penser, on ne peut qu’apréhender le jour où on ressentira ça, une fois que le meilleur sera vraiment derrière nous.
Il était une fois en Amérique se déroule en trois grandes périodes :
L’adolescence, où l’on créé constamment des souvenirs, ceux qui nous serviront dans la période suivante, où l’on vit le jour présent, sans encore trop de souvenirs à se mettre sous la dent pour les regretter.
L’âge adulte, dont je ne saurais trop vous parler. Déjà que la description précédente était celle des personnages, et pas la mienne.
Et la vieillesse des personnages principaux, triste à en mourir.
Classique, simple efficace. Et oui, quoi de mieux pour évoquer le temps qui passe et retracer l’histoire d’un homme et à travers lui d’un pays ?
Cela dit, le titre ne trompe personne : comme dans les deux films précédents de la trilogie Il était une fois, à savoir “dans l’ouest” et “la révolution”, le film n’entend pas raconter ces histoires grandeur nature, mais bien celle de ceux qui l’incarnent.
Ce film, pour Sergio Leone, le réalisateur, c’est l’oeuvre d’une vie. C’est d’abord celui qui s’éloigne le plus du reste de sa filmographie, n’ayant rien d’un Western. C’est ensuite un film qu’il a porté pendant plus de 20 ans, du début des années 60 à la première lecture d’une histoire d’un gangster américain juif durant la prohibition, à sa sortie en 1984.
Alors bien sûr, quand on lit ça comme moi sur Wikipedia, on se dit “quand même, faut avoir vlà la patience et la volonté pour s’accrocher à un projet pendant 25 ans. Bon, alors, certes, oui, mais encore. Qu’est-ce qui se passe durant 25 ans de vie ?
D’accord, ce film n’a probablement pas grand chose d’auto-biographique (Grr), et si Leone a pris autant de temps, c’est qu’il voulait le scénario parfait, retranscrire le plus fidèlement possible et sans concession cette époque, et servir l’histoire de la meilleure des manières.
Déjà, c’est on ne peut plus louable, et on a tendance à se dire que son évolution personnelle n’a donc pas plus de raison que ça d’influencer le résultat du film.
Alors pourquoi souligner ce fait depuis 15 lignes ?
Je l’ai dit plus haut, c’était le film de sa vie. C’était son oeuvre testamentaire, il est mort 5 ans après sa sortie sans avoir rien fait depuis. Pourquoi ?
Car si la version longue de son film dure déjà plus 3h30, il avait la matière pour en faire un de 10h. Il a accordé que 6h seraient idéales. Puis face à la pression des studios, a présenté une version de 4h45. Refusée. En dessous de 3h30, le scénario qu’il avait mis 12 ans à écrire allait être entravé.
Les studios, qui avaient le final cut*, ont sorti une version d’à peine 2h20, en tuant l’essence du film par la même occasion, trouvant le montage chronologique non linéaire proposé par Leone trop incompréhensible.
Voilà comment tuer un réalisateur.
Voilà comment tuer un homme.
Un film est l’enfant d’un réalisateur. Si il peut lui reconnaître tous les défauts du monde, attaquez le et vous attaquerez de la manière la plus violente possible l’homme dont le projet lui a demandé une part énorme de sa vie. Pour certains, ça sera en investissant beaucoup de soi même, de qui on est, même si on fait le film en une demi-journée. Pour le cas de Leone, c’est plutôt l’inverse : s’attaquer à un projet qui aura occupé un tiers de sa vie, un film qui traite des effets du temps sur l’homme, de la triste conclusion des choses, des concessions malheureuses qu’on est amené à faire, des regrets… Sérieusement ?
Il est là le scénario parfait, sans déconner, bravo les studios.
Ce film n’a pas été suivi par le public, et ne l’a été par la critique qu’en Europe. Il faut affirmer sans ciller aujourd’hui que c’est l’un des plus grands chefs d’oeuvre de tous les temps. Sergio Leone n’a atteint la reconnaissance critique qu’il méritait seulement après sa mort.
Déjà vu la manière dont je vous vends le film, vous seriez gonflés de pas aller le voir. D’autant que Miracle in cell N°7, le film turc sur Netflix dont tout le monde parle, bah c’est nul à iech en fait, donc pas d’excuse.
Ensuite, si on essaie une seconde de comprendre ce que c’est que l’oeuvre d’une vie, que l’on connaît les parallèles (in?)volontaires faits entre cette même oeuvre et cette même vie, alors seulement on comprend l’importance de regarder un film pour soi, certes, mais aussi pour celui qui l’a fait.
Pour finir
J’ai voulu revoir Il était une fois en Amérique pour une scène en particulier.
Ce dont je parle dans l’article m’a semblé important à dire seulement une fois après l’avoir vu. Au début, je pensais parler de De Niro. Robert de Niro fait partie de ces quelques acteurs dont il ne faut filmer que le visage, mettre la plus belle musique au monde (Deborah’s Theme d’Ennio Morricone) et l’observer, et se taire. Quelque chose de monstrueusement organique s’en dégage, on a envie d’attraper son visage, d’essuyer ses larmes, ou de pleurer avec cette même modestie. Ce fameux plan là, on le retrouve par exemple avec Jonnhy Depp dans l’ultime scène du très bon Donnie Brasco, mais aussi avec l’autre monstre sacré du cinéma, Gérard Depardieu, dans Tous les matins du monde, lorsqu’il écoute son maître de Viole jouer la véritable musique. Un film qui évoque surtout… le passé, la nostalgie, les regrets. Ça ne s’invente pas.
Quelques films ou réalisateurs importants auxquels je fais référence :
Il était une fois dans l‘ouest
Il était une fois la révolution
Le bon, la brute et le truand, Sergio Leone
Donnie Brasco, Mike Newell
Tous les matins du monde, Alain Corneau
*Aux Etats-Unis, où c’est beaucoup plus vrai que dans le système européen, il y a ce qu’on appelle le “director’s cut” qui signifie que cette version est celle dont découle tous les choix de montage du réalisateur. Si ce n’est pas le cas, la décision finale était celle des producteurs. C’est comme demander à une femme d’être enceinte d’un enfant pendant 9 mois, de la voir traverser tout ce qui va avec sans bouger son petit doigt, le voir naître, et dire :”j’ai décidé qu’il s'appellerait Maurice” sans que sa mère ait son mot à dire.
MauvaiseLimonade